La réflexion que nous souhaitons partager avec vous s’articule autour de 3 axes :
I. Fidélisation – Qu’est-ce qui est « normal » ? Quand s’alarmer ?
II. Quelles sont les composantes de la fidélisation ?
III. GRH et fidélisation – Quels liens ? Sur quoi agir ?
Partie I : Fidélisation – Qu’est-ce qui est normal ? Quand
s’alarmer ?
Le thème qui nous occupe aujourd’hui est la fidélisation du personnel. Or, avant de
s’attarder à fidéliser ce personnel, c’est bien son comportement d’« infidélité » qui nous préoccupe. Pour aborder cette « infidélité », en d’autres termes les départs volontaires des collaborateurs de l’entreprise (et éventuellement même de la profession),
l’indicateur classique est la mesure du turn-over (ou indicateur de rotation du
personnel). On identifie cet indicateur en % en comparant les démissions survenues
dans l’année à l’effectif moyen de cette même année (éventuellement à l’effectif à une date donnée, 1er janvier par exemple).
Notre intérêt se portera ici plus spécifiquement sur :
· Les départs vers l’extérieur
(par opposition à la rotation interne vers un autre poste)
· Les départs du fait du collaborateur
(et non ceux du fait de l’employeur, ni les licenciements économiques ou autres)
· Les départs maîtrisables par l’entreprise (par opposition à ceux non maîtrisables par l’entreprise, déménagement pour suivre le conjoint à l’étranger, départ en retraite, par exemple) le collaborateur aurait pu rester et fait néanmoins le choix de travailler pour un autre employeur de la branche, de quitter cette branche d’activité ou de quitter le marché du travail.
En matière de turn-over se pose la question de ce qui est « normal » et/ou ce qui est
sain pour l’entreprise.
L’avantage de mesurer le taux de rotation est que cela permet de le comparer et d’en
suivre l’évolution.
Les comparaisons peuvent
s’effectuer
**entre entreprises du même secteur, de la même branche
**entre services, départements ou filiales d’une même entreprise
**entre catégories de personnel (cadres ou employés, administration ou production)
**entre sexes, catégories d’âge ou d’ancienneté.
Ces comparaisons peuvent également s’effectuer dans le temps et ainsi suivre
l’évolution du turn-over. Voir son taux se péjorer en quelques années est perçu comme
le signal de la nécessité d’une analyse sérieuse des causes de cette évolution.
De même, des différences significatives entre services, départements ou unités ayant des activités similaires appellent une étude des raisons, suivie d’une intervention. Des catégories de départs spécifiques, comme les départs pendant la période d’essai, commandent de s’interroger sur nos processus de recrutement, d’accueil et d’intégration.
Naturellement, entre branches économiques, les taux moyens sont assez différents.
Les conditions inhérentes aux secteurs économiques impliquent des comportements
différents de la part des collaborateurs en matière de fidélité à leur employeur et de
durée des rapports de travail. Si la banque et l’assurance connaissent des taux de 6 ou 7%, la restauration collective dépasse les 30%.
Quant faut-il s’alarmer ? Et à quel point ?
On comprendra aisément que le seul taux n’est pas en soi alarmant ; c’est
comparativement à d’autres unités ou à une situation antérieure qu’on pourra l’évaluer.
Certains secteurs économiques connaissent un turn-over élevé et s’en accommodent
relativement bien. Cependant, de nombreux départs peuvent représenter une situation très délicate pour d’autres domaines d’activités. Un certain nombre de conditions ou de critères de situation sont à examiner pour estimer la gravité des départs volontaires.
Critères de situation
Critères internes vrai / faux
· Les départs sont en augmentation
· Les départs sont significativement plus élevés que la moyenne de la branche
· Les départs sont le fait de collaborateurs :
- dont l’importance est élevée par rapport à la finalité de l’entreprise (hauts potentiels, talents, proches du core business)
- dont l’activité est liée directement au core business, a un impact
direct sur la qualité de la prestation au client
- pour lesquels un investissement important est consenti en matière d’intégration, de mise au courant lors de leur arrivée dans l’entreprise
- pour lesquels l’entreprise investit en formation continue, dans le
développement de leurs compétences
- dont le niveau de qualification est relativement élevé
· Les départs concernent des fonctions :
- qui ne sont pas ou peu susceptibles de faire l’objet de gains de
productivité par automatisation, robotisation
- qui ne sont pas, peu ou plus susceptibles de faire l’objet de
mesures de rationalisation ou de réorganisation
où la pénibilité, les sollicitations, la responsabilité sont élevées
· Les départs concernent une entreprise :
- ayant une mauvaise réputation comme employeur
- dont la localisation est peu attractive
- active dans un domaine peu valorisé, passé de mode
- dont l’organisation est relativement stable, les pratiques de
gestion et le style de management conventionnels
Critères externes vrai / faux
· Le marché du travail actuel présente :
- un état de pénurie ; marché local asséché (pénurie relative)
- des bassins de recrutement national et international en voie d’assèchement ou asséchés (pénurie réelle)
- des employeurs concurrents qui offrent des conditions plus attractives
· L’avenir du marché du travail (pénurie durable) :
- les effectifs de relève en formation sont insuffisamment élevés
- la profession souffre d’un déficit d’image (métier peu valorisant,
objectivement pénible, contraintes, etc.) auprès des jeunes et de leurs parents ; les intentions de choix de formation professionnelle sont peu nombreuses / en diminution
- le système de formation professionnelle (ou professionnelle
supérieure) est insuffisamment attractif (image de l’école,
préférence pour les études académiques, etc.).
Si une entreprise est concernée (doit répondre « vrai ») par une majorité de ces critères de situation, alors il y a lieu de prendre très sérieusement les choses en mains, car l’impact sur l’activité, les résultats, la qualité, voire la santé de cette entreprise, peut être lourd de conséquences. Néanmoins, les départs naturels du personnel ne sont pas mauvais par essence. L’entreprise ou l’organisation, comme tout système ouvert, voit certains de ses éléments sortir et d’autres, nouveaux, le rejoindre ; c’est l’occasion d’un apport de sang neuf, d’idées nouvelles. En Suisse, selon une récente enquête de l’Université de St-Gall, chaque année 1 salarié sur 10 change d’emploi et ceci principalement à cause de conditions de travail ressenties comme désagréables.
Parmi les points positifs de départs volontaires, on peut relever notamment :
- dynamisation, stimulation
- idées nouvelles, remise en question par les nouveaux collaborateurs des façons
de faire traditionnelles
- connaissances ou techniques plus récemment acquises
- motivation des nouveaux venus et effet de contagion
- effet sur la moyenne d’âge (évite un vieillissement des effectifs)
- réduction d’effectifs sans licenciement, si besoin est.
En revanche, les effets indésirables d’un fort turn-over sont bien connus :
- perte de savoir, de compétences, d’expérience
- coûts liés au remplacement, à la mise au courant, à l’intégration des nouveaux
collaborateurs
- temps consacré au remplacement, à la mise au courant, à l’intégration des
nouveaux collaborateurs
- surcoûts pour attirer des collaborateurs rares (recrutement, rémunération)
- effort supplémentaire pour la mise à niveau s’il y a moins bonne adéquation
entre les compétences nécessaires et les compétences disponibles
- efficacité moindre pendant la période d’intégration d’un nouveau venu
- mauvais retour sur investissement des moyens de formation engagés à
l’intention des partants
- pénibilité accrue pour ceux qui restent
- sous-effectifs temporaires ou durables
- détérioration du climat (sentiment d’inéquité, impression que la hiérarchie ne met
pas en oeuvre tout ce qu’elle pourrait)
- fragilisation de la culture d’entreprise (impossibilité de développer une culture
forte, cohérente et manque d’adhésion à cette dernière)
- moral en baisse chez les collaborateurs qui côtoient continuellement des
collègues en partance, c’est-à-dire dont les motivations et les intérêts sont
focalisés sur leur avenir hors de l’entreprise.
Dans ces conditions, c’est l’aptitude de l’entreprise à réaliser pleinement sa mission, à atteindre ses objectifs, qui est alors en jeu.
extrait de CCRH Atelier Gestion des RH et fidélisation du personnel 17.04.2002